samedi 5 janvier 2013

Le gel de l'aide canadienne : un bien nécessaire..

Soixante ans d'aides internationales à Haïti ont-elles des effets positifs ou négatifs? Haïti a été le premier cobaye du système d'aide internationale établie avec la création de L'ONU après la deuxième guerre mondiale, sous la présidence de Dumarsais Estimé. Le résultat est sans appel, le pays s'est appauvri à tous les points de vue, soit structurelle, soit conjoncturelle. Au niveau structurelle, le dernier coup de boutoir asséné à l'économie haïtienne a été l'éradication des cochons dits créoles. Durant ces années, l'économie haïtienne est passée d'une économie virtuellement non monétaire à une économie monétaire, donc l'intégration systématique de l'économie haïtienne au système capitaliste mondial, sans réaménagement des structures de production. Pour illustrer cette situation, jusque dans les années 70, si quelqu'un te donnait un billet de 20 dollars américains un vendredi après 14 heures, donc à la fermeture des banques, tu ne pourrais faire aucun achat, personne ne te donnera du change, personne ne te vendra des biens, sauf à crédit. Avant les années 70, les haïtiens, tout niveau de culture confondue, avaient de leur pays le regard d’un pays qui n’était pas riche mais qui n’était non plus pauvre. La production agricole haïtienne nourrissait tant bien que mal l’ensemble du pays. Jusqu’au début des années 70, Haïti était encore autosuffisante. On disait que si andeyò pa desann pòtoprens pa manje. En revanche, à partir des années 80 la formule changeait, c’est de l’extérieur que dépendent la tripe de l’Haïtien. Aujourd’hui, Haïti dépend de tout de l’extérieur.

Cette situation de dépendance totale a été cultivée par des élites amorphes à la mentalité de corsaires, de flibustiers. Le café, qui a été, jusqu’au tournant des années 70, la principale denrée pour la rentrée des devises, continuait à être cultivé suivant des méthodes archaïques. Des spéculateurs jusqu'aux négociants consignataires, sans compter les pouvoirs publics, n’ont jamais pensé à améliorer les techniques de production et le niveau de vie du producteur de cette denrée, soit le pauvre paysan. La migration de la paysannerie au début du XXe siècle dans les champs de canne à Cuba et, surtout après l’occupation américaine, en République dominicaine, sans compter avec l’arrivée de François Duvalier au pouvoir en 1957 qui ramassait systématiquement des campagnards pour assister à des manifestations partisanes à Port-au-Prince et d’autres mesures incitatives de migration, et finalement l’implantation des industries d’assemblage et l’éradication des cochons créoles ont donné le coup de grâce à la production nationale durant la seconde moitié des années 70.

Après 1986, qui coïncidait à la passation du pouvoir de Jean-Claude Duvalier à ses sympathisants du CNG (Conseil national de Gouvernement) et l’application par Leslie Delatour, le ministre des finances des militaires, des politiques du FMI, par la fermeture d’entreprises publics, la destruction d’Haïti s'annonçait d’une mort certaine. Le duvaliérisme sans Duvalier a été le lot de ce pays durant ces vingt-cinq dernières années. Une situation révolutionnaire du 7 février 1986 qui gesticule dans les limbes de la médiocrité organisée par le duvaliérisme : éducation, services publics, organisation étatique, fierté haïtienne, et j’en passe, ont été complètement ratiboisés par l’ouragan duvalérien. La sortie du duvaliérisme n’a pas encore été réalisé. Au contraire. Cela explique en grande partie la raison pour laquelle le pays bat encore la mesure sur place.

Dans ce même ordre d’idées, que le Canada décide de geler son aide à Haïti ou pas, je ne vois pas l'impact positif de cette dernière, quand on sait qu'une ponction importante retourne au pays du donateur. Le tremblement de terre du 12 janvier 2010 est un exemple combien significatif de l'inefficacité de toutes aides caritatives. D'autres exemples fusent de tout part durant ses 60 dernières années La générosité est l'expression de la vénalité des donneurs. Où sont passés ces montants ramassés au nom d'Haïti à travers le monde? La situation du peule ou du pays s'est-elle améliorée? Les résultats sont là, et la réalité à la vie dure : l'aide appauvrit! On peut même trouver l'équation de l'aide : l'aide est inversement proportionnelle aux résultats. positive s'entend. Il est généralement accepté, en particulier dans le social, plus les gens sont assistés sur une longue période, moins ils s'en sortent. Vérité élémentaire compatriotes. Le vieil adage chinois qu'il est préférable d'apprendre à quelqu'un à pécher que de lui donner un poisson est un principe universel. Vérité de La Palice.

Aux seules personnes qui ont à se plaindre, ce sont nos dirigeants corrompus jusqu'aux os. Si le Canada veut vraiment aider Haïti, il n'y a qu'une vraie aide, c'est l'investissement direct. Point barre. Je me souviens bien qu'après la chute de l'Union soviétique le refus de la Russie d'accepter l'aide internationale; il exigeait plutôt l'investissement direct. Aussi, dans les années 80, le Brésil recevait plus d'aide internationale que la Corée du Sud. Le résultat : le second se développait plus rapidement avec un endettement moindre et, le premier, peinait à payer et demandait des moratoires continuels de sa dette. L'autre impact négatif de l'aide est psychologique : cela développe une mentalité d'assistés; la perte de l'initiative interne: tout le monde attend que l'extérieur vienne lui apporter secours pendant qu'il pouvait se secourir lui-même. L'absurdité atteint sa puissance exponentielle : le gouvernement haïtien a signé un accord avec Cuba pour l'entretien de ses matériels roulants lourds au niveau du ministère des transports pendant qu'il existe des haïtiens aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur très compétents qui pourraient s'occuper de cette tâche. C'en est un exemple parmi d'autres pour illustrer le côté amplement nuisible de l'aide.

Pour ma part, que le Canada suspend définitivement son aide et la remplace par l'investissement direct serait une bonne nouvelle. Cependant, cela prendrait une équipe gouvernementale compétente avec une vision du développement pour créer les conditions préliminaires à l'attraction de l'investissement direct. Avec un Michel Martelly qui pense que ses voyages pléthoriques peuvent apporter l'investissement au pays- comble de l'absurdité - sans qu'aucun de ses conseillers ne lui rappelle le Ba-Ba des relations internationales. Comme plein d'haïtiens qui appuient la ministre du tourisme dans sa croisade pour la promotion du tourisme en Haïti. Avec la situation physique du pays- situation écologique s'entend- et la situation d'ensemble de ce pays, n'est-ce pas futile de dépenser tant d'énergie pour de résultats hypothétiques? Qui iraient visiter un pays démembré à tous les points de vue? Aussi, à qui profiteraient les retombées économiques, si tant étaient que les touristes s'afflueraient dans un pays où la production agricole est quasiment inexistante, où nos exportons presque tout de la République dominicaine et d'ailleurs? La compréhension de cette situation est de la logique formelle. Ça ne prend pas un doctorat en économie pour comprendre une relation de syllogisme...

Dewind, Josh et David H. Kinley, Aiding Migration: The impact of International Development Assistance on Haiti, Westview, USA, 1988, 196p.

http://haiti-tribune.blogspot.com/2013/01/le-developpement-endogene-est-possible.html#.UTKmilf9XgI

Péan, Leslie,  Haïti: économie politique de la corruption: l'ensauvagement macoute et ses conséquences(1957-1990), Maisonneuve & Larose, Paris, 812 pages.

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mercredi 2 janvier 2013

Haïti est-elle condamnée à vivre un déclin sans rémission?

En guise de vœux, faisons des choix judicieux!
En cette fin d’année de 2012, le bilan désastreux de ce gouvernement est un véritable fiasco, une gifle contre la démocratie tant convoitée par le peuple haïtien, une honte pour l’intelligentsia haïtienne toute entière. En vérité, je me sens profondément attristé et désabusé de l’état lamentable de notre chère patrie à l’approche du nouvel an, qui nous rappelle, en outre, l’importance de cette date charnière de notre histoire : Le premier janvier 1804. Plus de deux cents ans après notre indépendance, nous sommes encore malheureusement à la case départ. Les filles et les fils de la mère patrie doivent se soumettre dans une réflexion intense, car du train où vont les choses, le pays en a pour très peu de temps encore. 
 
Cette année, riche en rebondissements, a été particulièrement marqué par des frasques des haut fonctionnaires du gouvernement, tels que des cas de séquestration par la bourgeoisie haïtienne sous les yeux complaisants de l’état, l’institutionnalisation de l’impunité, des dérives totalitaires, des scandales de viol, des dilapidations des fonds publics à des fins strictement personnelles, des tractations politiques à tous les niveaux, des tentatives de vassalisation des institutions du pays, des prétextes de toute sorte pour procéder à des arrestations illégales de ceux qui se rebellent contre le pouvoir en place, pour ne citer que ceux-là. Bref, à travers les quelque gestes épars posés par l’équipe au pouvoir, je suis persuadé qu’ils sont complètement submergés par l’immensité des besoins du pays. Dans une telle atmosphère de désordre généralisé, instauré par le gouvernement Martelly-Lamothe, le peuple haïtien n’a pas le cœur à la fête. 
 
Nombreux sont les compatriotes haïtiens, vivant dans la diaspora ou dans le pays, qui se sentent préoccupés par la misère nauséeuse et exécrable qui ronge l’âme haïtienne. La situation nécessite une prompte intervention patriotique. Notre alma mater est en péril, sa disparition de la carte géographique mondiale est pour bientôt, si rien n’est fait.
Frappée par des déchainements répétés de la dame nature, ajouté au séisme dévastateur d’une rare puissance en 2010 et l’introduction de l’épidémie du choléra sur le territoire peu de mois après, Haïti se meurt. Ses filles et ses fils se sont livrés dans un combat sans merci pour leur survie. Pourtant, nos dirigeants politiques tardent encore à éprouver le moindre sentiment d’urgence et à conjuguer des efforts pour éviter le pire à la mère patrie, qui se dirige à vive allure vers un précipice sans fond. 
 
De l’autre côté, l’argent coule à flot au palais national et à la primature. Ces deux centres décisionnels étatiques s’en donnent à cœur joie sans gène ni conscience patriotique. Cette attitude ignoble et irresponsable de nos dirigeants montre clairement qu’ils sont déterminés plus que jamais à poursuivre, sans état d’âme, la campagne de destruction systématique du pays. Leur manque de compassion nous tue, alors que la population, dans son ensemble, vit dans des conditions infrahumaines où les besoins primaires deviennent du luxe. 
 
Mais que faire pour remédier à cette situation catastrophique? Le moment n’est-il pas venu de nous poser la question, à savoir comment apporter assistance à quelque huit millions âmes qui sont en danger? Cette question arrive à point nommé. À ce moment-ci de la période des fêtes, les gens sont enclins à échanger des vœux, à manifester de l’amour, de l’affection et de la tendresse envers leurs semblables. Nos femmes et hommes politiques pourront-ils être des modèles pour ceux qui ont, malgré tout, le goût de se lancer en politique. 
 
En cette période des fêtes, ces femmes et hommes politiques devront s’amender et se surpasser pour qu’enfin ils réussissent à faire sortir le pays de ce gouffre socioéconomique et social. Ceux qui occupent l’espace politique haïtien, depuis plus deux décennies, se sont révélés incapable de mener le pays à bon port. Donc ils doivent céder leur place aux plus diplômés qui sont passionnés de la politique. 
 
La plupart des partis politiques haïtiens sont gérés comme une Petite et Moyenne Entreprise, une propriété privée. À chaque élection, ce sont eux seuls qui peuvent représenter le parti, même si le candidat faisait piètre figure dans la course électorale précédente. La division réside en partie dans cette conception archaïque et mesquine, à savoir chacun des candidats pensent avoir en main la recette magique pour développer le pays. Que cela cesse pour le nouvel an! 
 
Aujourd’hui, il est temps de proscrire cette attitude de « one man show » et de se considérer comme une pièce normal du puzzle. Ils doivent se soumettre humblement au franc jeu démocratique, en faisant équipe avec ceux qui ne partagent pas leur conviction politique. Nos politiciens doivent laisser tomber leur super égo pour mieux appréhender la cause haïtienne dans ses multiples facettes.
 
Il nous faut avoir des modèles dans tous les domaines : La politique, le droit, la médecine, l’ingénierie, l’agronomie et j’en passe. Si on regarde sur l’échiquier politique, les médiocres et les flagorneurs pullulent, se bousculent et se sentent autorisés à aborder n’importe quel sujet complexe. Selon eux, leur pouvoir est sans limite. Même les spécialistes dans leur domaine respectif arrivent difficilement à avoir la voix au chapitre. Ce comportement de « touttiste » encourage la médiocrité et le pays s’enlise dans le nivelage vers le bas. Commençons d’abord par se respecter et respecter les compétences des autres, en évitant de parler à travers de notre chapeau de tous les sujets dès qu’il s’agit de politique. L'humilité, la sagesse et la bonhommie sont trois piliers autour desquels les politiciens devraient s’imposer pour mieux se concentrer sur les vrais enjeux du pays. Faisons des vœux réalisables!
 
 
Par Denis Jules
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dimanche 30 décembre 2012

Haïti, bilan et perspectives : un cas atypique

L'année dernière, à peu près à la même époque, nous avons constaté un certain nombre d'incohérences dans la gestion de l'État que nous avons exprimé dans quelques-uns de nos billets. Déjà, il nous apparaissait que la conception du Président de la fonction de chef d'état, comme père autoritaire et tout puissant, demeurait une constante de la politique haïtienne. Mais, en plus, les reliquats de cette attitude ont été exprimés avec beaucoup de grossièretés : on a qu'à se rappeler l'arrestation du député Arnel Bélizaire et toute la vassalisation des ministres et de la police nationale impliquée dans cette sordide affaire. Le Premier ministre d'alors, Gary Conille, n'a fait que constater cet acte odieux. Cependant, il s'est payé d'une visite du député au Pénitencier national. Il paraissait, de fait, que le Premier ministre n'avait même pas le pouvoir d'un caporal, qu'il n'avait qu'un pouvoir symbolique. Néanmoins, Gary Conille savait se démarquer des dérives de Michel Martelly par ses positions aussi sur l'amendement constitutionnel. L'année 2012 avait déjà commencé entre les deux branches de l'exécutif sur leur incompatibilité organique : des ministres qui ne reçoivent l'ordre que de la Présidence. Le tout a été confirmé de façon éclatante par le refus des ministres de suivre Gary Conille sur la question des documents de voyage que réclamaient les sénateurs. À partir de cet instant, il faisait déjà partie du passé. L'absence de ce dernier aux festivités carnavalesques, aussi bien à Jacmel qu'aux Cayes, exposaient au grand jour la séparation et le divorce des deux hommes.

Les premiers mois de l'année 2012 ont été marqués par l'épisode de l'enquête sur la nationalité du Président et des membres du gouvernement. C'était une série tragico-politico comédie où les acteurs s'enlisaient dans des tirades à n'en plus finir : l'enquête du sénat menée par une bande de comédiens qui voulaient nous tenir dans un suspens d'un film de série B, où la fin se termine en queue de poisson. Au lieu de mener une enquête en bonne et due forme, les membres de cette commission du sénat se sont amusés à attendre que les preuves tombent du ciel : au fond rien n'a été fait pour corroborer ou infirmer l'allégation de la double ou la triple nationalité du Président et de ses ministres. L'intervention du sénateur Anick Joseph a, en quelque sorte, mis à nu cette tragi-comédie. La cérémonie de présentation des passeports où le Proconsul américain, en l'occurrence Kenneth Merten, est venu mettre fin à cette chicane infantile comme un père qui en a assez vu des bêtises de ses enfants en déclarant que Michel Martelly est Haïtien. La parole du blanc est sacrée. La messe était dite.
 
Le remplacement de Gary Conille par Laurent Lamothe, l'homme de la fameuse diplomatie des affaires, nous avait fait vite comprendre que le délire de la démagogie et de la propagande avait atteint son paroxysme et qu'il ne fallait rien attendre de sérieux de Martelly, si tant était qu'on pouvait lui attribuer un volontarisme béat; il avait, par ce choix, fait le pari de tromper la crédulité de ce bon vieux peuple haïtien. N'ayant pas compris la complexité des contradictions internes et externes de la République, qu'il a dû reculer devant les élucubrations qu'il prônait lors de la campagne électorale, car le poids de la tradition de la politique politicienne demande des habiletés et une finesse d'esprit qui ne se vendent pas au marché, que même les plus retors des politiciens y succombent : cela prendrait le flair, l'intelligence politique, la légitimité et une solide organisation politique pour y réussir. En plus, Martelly ne possède pas une pratique de fonctionnement au sein de groupes organisés, même quand dans ce pays tout le monde est un électron libre , comme se plaisait à le dire le sénateur Anacassis dans son cas, que les groupes sont apparemment organiquement constitués. Désorienté, le naturel revenait au galop. Comme Aristide disait que le FNCD était un chapeau légal, Martelly a eu la même attitude face à Repons Peyizan. Le plaisir des voyages somptuaires a pris le pas sur l'expectative des voyages d'exploration. La jouissance du pouvoir devient la règle. 
 

Notre héritage : les dédales d'un mode de pensée

   Les apories discursives   Les invariants du mode de pensée haïtienne font partie des forces de freinage de tout progrès . L'un de ce...