jeudi 26 juin 2014

Rumeurs et médisances : l’art de la politique en Haïti


Le dynamisme de la politique

Blatter en compagnie de MartellyAu temps de la coupe du monde de football, y a-t-il des yeux, des oreilles, des esprits prêts à regarder notre façon de faire et de comprendre le jeu politique, donc de peser et jauger ce que c'est que la politique? Oui, la politique est un jeu de tactiques et de stratégie, donc elle est assujettie aux conditions inhérentes à cet exercice. Elle est plus un art qu'une science; le fossé n'est ni trop grand ni trop mince, juste floue. Il n'y a aucun politique qui peut être immobile dans ses tactiques; l'activité (la politique s'entend; la gestion de la cité avec tous les intérêts divergents, la compréhension diverse de la chose commune, etc.) même est incompatible à l'inflexibilité. L'ambivalence même de l'Homme ne saurait nous faire éluder ces hésitations, sa rétivité, son indécision; ses actions, ses réflexions ambigües à un moment de la durée le travaillent, le bouscule, le retient, le fait tergiverser, soit par la complexité de la conjoncture ou sa complication. On peut ajouter d'ailleurs que les sociétés humaines sont tellement récentes, que la somme des expériences empêche la maitrise du devenir. Marx disait, en quelque sorte, que les hommes font leur propre histoire dans des conditions qui ne sont pas déterminées par eux-mêmes. C'est en ce sens que nos désirs ne peuvent pas dicter la marche des choses. Pour parler simple, convaincre un autre homme c'est déjà pas facile en convaincre plus d'un est extrêmement difficile, alors des millions d'humains, c'est tout un défi. Nos décisions ou nos actions ne donnent pas toujours les résultats souhaités, donc notre emprise réel sur les résultats est beaucoup plus hypothétique que certaine.

Les rapports humains sont très complexes

K-Plim, Jean-Claude Duvalier, Prosper Avril, Michel MartellyCela m'amène au cœur de mon propos. Je ne voudrais pas développer ma thèse ici au complet car je la laisse pour la suite de mon article sur la société civile en Haïti. Nous avons tracé arbitrairement deux camps face à la conjecture d'élections pour le 26 octobre. Ceux qui ont participé à El Rancho sont du camp Martelly et le reste de l'opposition. Ce monde manichéen dans la tête de mes compatriotes pourrait me faire rire jusqu'à pisser dans mon pantalon et tout le reste si la situation n'était pas extrêmement tragique ou si je me foutais royalement de ce pays. Ces gens qui sont si catégoriques en matière de la politique haïtienne ne le sont pas du tout dans leur vie quotidienne: ils font des alliances contre-natures dans tous les aspects de leur vie, et même dans leur lit. Ils demandent aux politiques de faire quelque chose à l'échelle macro ou globale dont ils sont incapables de mettre en pratique à l'échelle micro ou vie privée. La propension à la calomnie, à la diffamation, au dénigrement, aux ragots, au wounouwounou national traduit la façon de faire de la politique dans ce pays. Mais il ne faut pas s'y méprendre : la structure économique, sociale, culturelle, dont l'intellect s'y prête tout bonnement vu l'éducation de notre entendement: N'est-il pas vrai que même en sachant lire on se souvient jamais des numéros civiques, on ne se porte à lire les itinéraires ou les pictogrammes cartographiques, etc.

Il est tellement facile de faire croire aux gens n'importe quoi que dans le domaine politique on peut faire courir n'importe quel bruit au sujet de n'importe qui et les gens avaleront tout ça avec délectation sans douter une seconde, sans aucune preuve solide, voire apparente. Au temps des Duvalier, les opposants médisaient sur quelqu'un en le qualifiant d'espion, donc macoute; au temps d'Aristide, tèt kòk mbouda pentad et celui de Sweet Micky, bandit légal? Le dénigrement, les ragots, le tripotage, le papotage sont des fonds culturels qui nous conduiront inexorablement vers l'abîme. Le manque de rigueur à peser, à jauger les choses rendent notre compréhension de la réalité haïtienne d'une légèreté déconcertante. Sauveur Pierre Étienne a une formule lapidaire : culture générale faible; culture politique davantage. Ces derniers temps, les Sauveur Pierre Étienne, les Evans Paul sont cloués au pilori et sont convertis malgré eux en tant que partisans attitrés du pouvoir de Martelly-Lamothe. Dans le cas d'Evans Paul, son crime a été condamné de haute trahison, par les puristes de l'opposition, parce qu'il a commis l'infamie de se retrouver, le premier janvier de cette année, sur la même tribune que Jean-Claude Duvalier. Soit. J'ai été aussi estomaqué. Mais je ne suis pas un politique, il l'est. Voilà la grande et importante différence. Et cela fait toute la différence. Ces Messieurs et Dames sont tellement immaculés qu'il faudrait les canoniser sur le champs. Comble de ridicule. J'en ai tellement horreur de ses saintetés au point d'en avoir la nausée. Oui, à El Rancho, il y a eu des chiens couchants aussi.

Les alliances contre-natures sont des rapports humains

L'histoire aussi bien chez nous qu'ailleurs, d'hier à aujourd'hui, nous a laissé tant de leçons qui auraient dû être des préceptes : Dessalines, Christophe, Pétion ou nos héros ont été des ennemis des cultivateurs; Staline signait avec Hitler le pacte germano-soviétique; l'URSS et l'Occident se sont alliés contre Hitler pour ensuite se détester. Les alliances contre-nature ne font-elles pas partie du jeu politique? Donc, la sortie de KPlim cette semaine contre l'ultimatum du CEP inconstitutionnel et illégitime, ne m'a pas du tout surpris. A l'inverse, l'inébranlable décision de l'OPL d'aller aux élections contre vents et marées ne m'a non plus surpris. Ce sont deux tactiques qui ne visent qu'un même but; il n'y a pas donc d'incongruité entre elles et même avec le MOPOD étant donné que la politique n'est pas un jeu à somme nulle. Les actions combinées de tous les acteurs influent sur les résultats. Finalement, voilà pourquoi les changements prennent du temps à prendre chair et corps.

De toute façon, peu importe ce qui arrivera, les États-Unis joueront un rôle prépondérant sur le dénouement conjoncturel de la crise. Martelly en tient compte comme d'ailleurs les oppositions à ce pouvoir. On comprend bien les tergiversations de Martelly à faire semblant de vouloir des élections en même temps prendre des décisions arbitraires, tels la mise sur pied d'un CEP de sept membres comme l'année dernière avec son CEP de six jude Célestin présenté par Préval comme son dauphinmembres pour ensuite convertir tout ça en CTCEP et finalement en gardant la loi électorale pendant plus d'un mois sans l'appui de la loi mère avant de la transférer au parlement. Et on connait la suite des évènements. Le cycle recommence, sauf cette fois-ci, il y a plus d'acteurs qui s'engageraient dans un processus crédible. La communauté internationale ne trouve rien de tout cela pernicieux car ce gouvernement est un allié docile et affairiste. La situation aujourd'hui ressemble à quelques différences près à celle de l'année dernière: la loi électorale est bloquée au sénat, le CEP est amputé de deux membres, le CSPJ ne veut pas procéder au changement de ses membres, etc. L'accord de El Rancho était mort avant la lettre car il ne constituait pas un dialogue, mais une comédie pour consommation externe. Les acteurs ont démontré leur mauvaise foi pendant et après cet accord. Le processus est vicié à la base; les fruits sont à l'image de l'arbre.

L'intelligence de la conjoncture vaut son pesant d'or

Faut-il pour cela bouder ce processus électoral dévoyé en partant? A brule-pourpoint, la réponse serait positive. Mais l’histoire récente nous a prouvé qu’aussi bien les dirigeants que la communauté internationale ne se soucient guère des principes élémentaires qu’elle prône chez elle. Leur mépris de notre humanitude est ahurissant. Telle est leur considération à notre égard. Puisqu’on doit prendre des décisions dans ce corset déshumanisant, il faut faire corps pour obvier la voie qui se dessine en faveur du pouvoir en place. Nous connaissons, même sans un leadership conscient, le camouflet que le peuple a servi à René Préval durant les dernières élections dans sa volonté de se faire succéder par Jude Célestin. Imaginons juste un instant s’il y avait un mouvement concerté pour barrer la route aux visées de René Préval. Non, l’Alternative, en ce temps-là, regroupant l’OLP, la Fusion des Sociaux-Démocrates et le Kid, et d’autres formations, ont préféré boycotter ces joutes, ce qui donnait libre cours aux manœuvres crapuleuses orchestrées par Gaillot Dorsainvil, homme lige de ce dernier.

L’absence de mobilisation autour des élections a permis à un autre coquin, Les États-Unis, de soutirer au détriment des escrocs haïtiens la présidence en faveur de leur homme de paille, en l’occurrence Michel Martelly dit Sweet Micky. C’est avec ce regard profond qu’il faut appréhender la lutte pour la sortie de la crise. Cette crise, elle est longue et tortueuse, sauf l’intelligence de la conjoncture peut nous aider à frayer un chemin vers des possibilités nobles pour la patrie commune…


Ernst Jean Poitevien

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