vendredi 22 juillet 2016

Le nationalisme démagogique : appel au peuple pour financer les élections.

Le Sénat

Tous les peuples ont un fardeau mental qu’ils portent en eux : l’inconscient collectif. Nous agissons suivant une sorte d’algorithme historique, que je pourrais appeler récursivité historique. C’est une boucle récurrente (laviwondede) invisible qui nous fait battre la mesure sur place. Le jour où on arrive à en prendre conscience, on peut y regarder de plus près et voir en quoi que cela nous est salutaire ou fatal. Là, et seulement là, que l’on commencera véritablement à se diriger à bon port, à mettre la main sur le drame, s’il y a lieu, ou sur le génie, s’il s’avère. Malheureusement, il y a des peuples qui restent trop souvent engoncés dans trop de schèmes mentaux vieillots : les Britanniques ont perdu en partie leur hégémonie par manque de formation d’ingénieurs, les Chinois se croyaient le nombril du monde, d'où l'appellation de l'Empire du Milieu autrefois, et les français par trop d’élitisme de leur système d’éducation selon Daniel Cohen.  Et les Haïtiens, j’ajouterai, se sont enfargé dans le développement du sous-développement faute d’un système d’éducation qui stimulerait leur créativité. Somme toute, il faut enfin arriver à ce jour où on s’autocritique et se dit que nous avons erré en matière de bon sens, de la rationalité.



Ces jours-ci, il y a une ferveur nationaliste autour du financement des élections parce que la communication internationale refuse de donner sa participation habituelle, depuis quelque vingt ans. La raison apparente, c’est qu’elle est contre la reprise de l’élection présidentielle qui était entachée de fraudes massives. Jusque-là la réaction de porter le fardeau du financement par l'État haïtien est salutaire. Et il était temps. Ce à quoi je m’oppose, c’est l’appel à la population de contribuer monétairement. Certains nous rappellent la libération financière sur le gouvernement d’Éstimé où une levée de fonds a lieu au niveau national pour payer la dette du pays. Pour eux, c’était un moment de fierté. Douze sénateurs allant dans cette logique ont décidé de donner trois mois de leur salaire en vue de contribuer au financement des élections. Devant cet argument émotif et ce geste de ces douze sénateurs qui viennent toucher les cordes sensibles, on devrait s’y rallier sans autre forme de procès. C’est là la fatalité de notre destinée.

Vivons-nous encore au temps de la préhistoire ou au 21ème siècle ? Déjà en 1947, c’était bizarre que toute une nation aille dans le sens de cette logique. Jetez juste un coup d’œil du côté de notre voisin de l’Est pour voir comment il s’en est sorti quelques années auparavant. Si la fierté était du carburant pour nous propulser vers l’avant, Haïti ne serait pas le seul Pays le moins avancé (PMA) de l’Amérique. Les questions d’économie et de finance ne se règlent pas suivant notre taux d’adrénaline 
mais par le calcul froid des intérêts médiats et immédiats d’un pays. Sans entrer dans de trop longues considérations, nous dirons que le retardement du paiement de la dette aurait pu permettre d’investir dans des infrastructures productives, c’est ce que la République voisine avait choisi comme option. D’autant plus que l’État possède des moyens incommensurables d’intervention. Pour ne citer qu’un seul : la politique fiscale. Qu’avons-nous fait de cette libération financière de 1947 ?

Le résultat au niveau financier : plus que 70% du budget national dépend de la charité internationale. Au niveau économique : La presque totalité de la consommation nationale vient de l’extérieur. Nous sommes devenus des importateurs nets de marchandises. Et la fierté ? Chaque Haïtien, s’il lui était possible, s’échapperait de cette terre d’enfer. Et pourtant un paradis y est. Comme l’a fait remarquer, magistralement, Leslie Péan dans son livre L’économie politique de la corruption, le problème du pays est avant tout psychique : l’esprit est avant tout corrompu. Donc, nécessairement tout le reste est pourri aussi jusqu’aux os.

Aujourd'hui encore devant l’urgence de réorganiser par nos propres moyens ces élections, la propension à faire appel à cette vieille méthode d’autrefois, dont j’en ai fait mention, n’est que de la démagogie dans certains cas et de l’ignorance dans d’autres. Demander à plus de 7 millions de personnes qui ne vivent en moyenne qu’avec deux (2) par jour de financer les élections, c’est démoniaque, c’est du sadisme. Si tant était que la participation du peuple tenait à cœur à cette élite, elle pourrait lui faire prendre des bonds du trésor, mais, à condition, qu'on le lui dise que c'est un prêt fait à l'État à un certain taux d'intérêt. Il ne faudrait pas qu'on le dupe comme l'avait fait François Duvalier avec ses fameux bonds du trésor en ponctionnant les employés de la fonction publique sans leur expliquer que c'était un emprunt de l'État et qu'il fallait qu'il conserve leur certificat.  Le peuple est plutôt taillable et corvéable dans la tête des élites.  Quand les choses vont mal, les élites font appel à ce bon vieux peuple, la canaille ; quand tout baigne dans l’huile, elles le laissent périr. Ce nihilisme a trop duré.  Et vous vous en moquez. Soyez pour une fois empathique si votre vœu est bel et bien de construire cette République libérale qui n’a jamais encore pris naissance.

Vouloir la contribution du peuple par une levée de fonds n’est que de la filouterie. En guise de déplumer les gens par leur ignorance, il faudrait mieux mettre des mécanismes en place pour récupérer les plus que 70 % des recettes douanières et autres qui vont dans les poches de toute sorte d’escrocs professionnels qui ont toujours fait leur beurre sur le dos de la Nation. Là la fierté se concrétiserait dans la glaise du réel ; les recettes de l’État serviraient à donner au pays un visage humain, car Haïti n’a jamais été que la Perle des Antilles pour une minorité, mais pour la vaste majorité elle a toujours été l’Enfer des Antilles. Avant l’indépendance, c’étaient les colons qui se la coulaient sur le dos des esclaves, après ce sont les anciens libres, toutes couleurs confondues, pour l’essentiel, qui s’en donnaient à cœur joie sur le dos des paysans et, encore les colons, les Consignataires.

D’après les dernières nouvelles, de la bouche du colonel Himmler Rebu sur les ondes radio Kiskeya, Privert utilisera les ressorts de l’État pour financer les élections. Et s’il avait agi dans le sens de ces démagogues professionnels avec le cœur si loin de leurs poches mais si près de leurs intérêts médiats, je l’aurais qualifié de charlatan vue sa formation académique. En mettant sa science au profit de la Nation et, du coup, nous épargnant du sarcasme de la communauté internationale, il fait œuvre qui vaille et la Nation lui est hautement reconnaissante. 

Ernst Jean Poitevien 

 http://haiti-tribune.blogspot.com/2015/08/grammaire-de-la-pensee-philosophique.html
 http://haiti-tribune.blogspot.com/2015/09/grammaire-de-la-pensee-philosophique.html

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